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Ángel PUEYO CAMPOS
Groupe d’Étude en Aménagement du Territoire (GEOT)
Université de Saragosse
Carlos LÓPEZ ESCOLANO
Groupe d’Étude en Aménagement du Territoire (GEOT)
Université de Saragosse
Raúl POSTIGO VIDAL
Groupe d’Étude en Aménagement du Territoire (GEOT)
Université de Saragosse
En Espagne, la crise économique des années 2008-2012, appelée « Grande Récession », a mis fin à une décennie de croissance économique : augmentation sans précédent des chiffres du chômage, exclusion, marginalisation… difficultés financières fragilisant sa place sur la scène internationale. Cette conjoncture a contraint les municipalités espagnoles à imaginer de nouveaux paradigmes pour faire face aux défis sociaux et spatiaux rencontrés par leurs territoires qui s’étaient jusqu’alors développés de façon incontrôlée. Dès lors, les modèles et les politiques néolibérales des trente dernières années ont largement été remis en question.
Dans ce contexte, la planification stratégique urbaine espagnole a évolué pour intégrer les exigences récentes de la ville souhaitée compacte, durable, créative, multiculturelle et équitable. Il fallait répondre aux défis contemporains auxquels les approches segmentées, hiérarchisées et sectorielles de la planification territoriale traditionnelle n’apportaient pas de réponses. L’enjeu était aussi de dépasser le modèle de planification classique favorisant l’expansion urbaine, de réinterroger les règles d’occupation des sols, les concepts d’efficience urbaine, la création et l’organisation des services. Les pouvoirs publics ont ainsi été amenés à adopter un nouveau modèle de planification, intégré, plus inclusif, vecteur de changement. Ce passage s’est fait dans une approche critique et discursive pour aller vers une conception systémique et relationnelle du territoire qui s’appuie sur la gouvernance, les réseaux de connaissances, l’apprentissage continu et une prise de décision appropriée.
Dans les documents de planification à l’horizon pré-2020, on observait une prédominance des questions sociales et de développement économique. Ces stratégies de développement territorial étaient le reflet du contexte de forte croissance économique d’avant 2008 ayant permis aux grands projets municipaux de fleurir, à l’économie de marché de prospérer et à de nouveaux concepts comme le marketing urbain de se développer. Durant cette période, les profits générés ont été tels qu’un modèle reposant sur une ingénierie spéculative de l’aménagement a été favorisé. Les projets d’investissement pour la construction de logements, de centres d’affaires, d’infrastructures, et pour l’expansion territoriale se sont ainsi multipliés.
La récession économique et les nouvelles orientations fixées par l’Union européenne, à l’image du programme-cadre Horizon 2020 1, ont entraîné un changement de paradigme et un basculement des priorités, notamment vers les questions environnementales et d’innovation. Les ressources valorisées ne sont dès lors plus économiques. Les personnes et leurs capacités à s’organiser ensemble et créer des réseaux sont mises en avant. Pour cette raison, dans les stratégies territoriales actuelles, l’accent est davantage mis sur le développement humain et non plus sur le développement socio-économique, faisant ainsi la part belle aux projets « immatériels ». La planification stratégique urbaine s’ouvre donc aujourd’hui aux questions de l’inclusion sociale, de la qualité de vie urbaine, mais aussi tout particulièrement à celles du développement intellectuel, de l’éducation et de la formation comme investissement sur l’avenir.
Barcelone, Malaga, Madrid, Valence ou Saragosse prônent désormais les notions de ville compacte, d’utilisation raisonnée et durable des sols. Ainsi, la vision stratégique de Saragosse à l’horizon 2020 promeut la compacité urbaine via des projets de revitalisation et de renouvellement. Malaga, Séville ou Saint-Sébastien s’attachent pour leur part à l’amélioration de la qualité des espaces publics et au design urbain, quand Barcelone bâtit sa stratégie à l’horizon 2020 autour des concepts d’attractivité, de créativité et d’innovation en lien avec la smart city. Bilbao développe quant à elle l’idée d’une « ville où l’on veut vivre », cultivant le sentiment d’appartenance locale autour d’espaces de qualité : recomposer l’image de la ville à travers un paysage urbain plus soigné et une scène urbaine attrayante. Valence et Séville témoignent d’une préoccupation croissante pour les questions d’exclusion sociale avec la définition d’objectifs à atteindre en matière d’inclusion. Ainsi, tout ce qui est lié aux savoirs, aux nouvelles technologies, à la recherche ou aux TIC (technologies de l’information et de la communication), est devenu la priorité de nombreux plans stratégiques : promotion de la recherche, du développement et de l’innovation (R + D + i), plates-formes favorisant la ville et la citoyenneté numérique, mise en œuvre de hautes technologies de pointe dans le tissu urbain…
Enfin, de manière plus classique, des villes comme Madrid s’orientent vers le renforcement des systèmes de gouvernance en matière économique.
Si les évolutions de la planification stratégique urbaine espagnole reposent sur la mise en œuvre d’actions transformatrices, elles requièrent pour se réaliser un portage politique et une redéfinition des rapports de forces fondés sur une coopération entre secteurs publics et privés, sur des démarches de participation citoyenne, dans une optique d’amélioration de la gestion urbaine.
- Programme-cadre européen de recherche et d’innovation lancé en 2014 pour sept ans, qui recentre les financements autour de trois priorités : excellence scientifique, primauté industrielle et défis sociétaux.
Crédits : cc Groupe Francisco Hernando 2009, cc Jose Maria Mateos.